mardi 24 juillet 2018

Noirs sont les cœurs...

Noirs sont les cœurs
Qui se ferment à autrui
Noires leurs erreurs
Révélées aujourd'hui
Noires leurs pensées
Sans attraits et sans vie
Vieilles photos pâlies
Tournées vers le passé
Noires sont les larmes
Versées par les ennemis
Comme le sang noirci
Des amours salies
Noires sont leurs chants
Oraisons tristes infinies
Aux accents funèbres
Sans espoir sans envie
Noirs sont les âmes
Qui hantent nos vies
Sans saveur et sans charme
Délitées, tôt vieillies
Absorbées par l'ennui
Recrachées et trahies
Noires seront désormais
Ceux qui piétinent le temps
Abandonnés à jamais
Dans les limbes et le néant...

Ecrit à Beaucaire,
le 24 juillet 2018

lundi 16 juillet 2018

Histoire de Veste

Et hop ! J’enfile ma nouvelle veste et je m’admire dans le grand miroir de leurs yeux. Elle me va si bien, j’en suis tout étourdi ! J’avoue qu’elle me serre un peu aux entournure, après tout je n’avais pas prévu de la mettre si vite et sa coupe est un peu étroite,  j’imagine qu’ils l’ont cousue dans la hâte, pour me complaire. Mais ne serait-ce pas plutôt à moi de leur plaire ? Car après tout ce nouveau style me convient, je suis à l’aise et n’en ressens aucune gêne. Pour me tenir en pleine lumière elle me semble être le vêtement idéal, je me sens valorisé et pour un peu je m’applaudirais ! Me vient une réflexion... Pourquoi ai-je donc été si long à m’en saisir ? Elle n’offre que des avantages à ma nouvelle mesure, des poches partout pour y glisser les menus présents qu’ils ne manqueront pas de me faire, un tissu qui fait illusion et dont la couleur est en parfaite adéquation avec mon teint. Alors pourquoi me direz-vous ai-je tant tardé à l’accepter ? C’est que voyez-vous il n’est pas donné à tout un chacun de savoir quitter son gilet pour enfiler la veste qui vous est offerte. Est-ce la retourner ? Peut-être... 

Ecrit à Beaucaire,
le 15 juillet 2018

mercredi 30 mai 2018

Histoire de Tête

Elle avait cette évidente faiblesse de tenir à sa tête. Non pas qu’elle fût exceptionnelle d’un point de vue esthétique, non cela n’avait en réalité aucune importance. C’était son contenu qu’elle protégeait autant que faire se peut. L’incroyable complexité des connexions neurologiques lui apparaissait comme la cartographie de tous ses possibles, et sa mémoire comme autant de minuscules tiroirs dans lesquelles elle rangeait tout ce qui lui serait utile selon un classement qui n’appartenait qu’à elle. C’était fort simple, et en même temps très compliqué, une chatte n’y aurait pas forcément retrouvé ses petits mais peu lui importait du moment que ces myriades d’informations attendaient sagement qu’elles les remonte à la surface pour les utiliser.

Alors bien sûr certains pouvaient penser qu’il y avait quelque chose de machiavélique à tant vouloir préserver ce savoir acquis au prix d’un minutieux travail de recherche. Et elle convenait volontiers que tout cela n’avait rien d’innocent, car en vérité l’innocence n’avait pas sa place dans les luttes qu’elle menait, et la naïveté encore moins. Si vous couchez avec le diable, avait-elle coutume de dire, vous vous embrasez et vous finissez par vous consumer ! La seule protection à l’épreuve des forces obscures était cette manie de l’étiquetage qui lui permettait de prélever les informations collectées pour les mettre de côté, se préservant ainsi de leur influence pernicieuse. La perversité qu’il y avait à plonger dans ce monde nauséabond aurait pu l’atteindre, mais il n’en était rien. Elle éprouvait la curieuse sensation de se dépouiller de toute haine au fur et à mesure qu’elle engrangeait les émotions les plus violentes, les plus destructrices, les plus improbables... Non pas qu’elle devienne une sorte de sainte, pas du tout. Mais elle atteignait une forme de stoïcisme qui ne laissait pas de l’étonner et qui la protégeait des vicissitudes que ses semblables ne se privaient pas de lui faire supporter. 

La dure réalité du quotidien nourrissait son combat, la confortait dans ses luttes, la portait vers l’avenir qu’elle contribuait à construire. Elle s’accrochait à ses valeurs comme une arapède à son rocher, consciente d’évoluer comme une équilibriste sur une corde invisible et très instable qui mettait en danger sa sérénité à chacun de ses pas. Avoir senti passer si près de ses cervicales le souffle acéré de la guillotine l’amenait à vérifier régulièrement que sa tête, sa très chère tête sans laquelle elle ne serait rien de plus qu’un ectoplasme sans consistance, était toujours là, vissée sur la colonne fragile de son cou. Et elle se ravissait de sa capacité de résistance aux attaques pernicieuses de ceux qui se moquaient d’en protéger le contenu, elle avait encore tant et tant de combats à mener, tant d’informations à engranger, tant de victoires possibles ! En vérité elle savait qu’elle la perdrait un jour cette pauvre tête qui s’altérait avec le temps, mais ce serait uniquement quand elle l’aurait décidé. Son cœur un jour lui donnerait le signal du retrait, et elle espérait de toutes ses forces que, peut-être, il ne le ferait jamais. Alors ce jour seulement elle intimerait à sa tête de se mettre au repos pour les années qui lui resteraient. Elle viderait un à un tous ses petits tiroirs pour en transmettre le contenu à qui marcherait dans ses pas, et elle lâcherait prise. Sans doute pour l’éternité.

Ecrit à Beaucaire,
le 30 mai 2018

mercredi 18 avril 2018

Nostalgie

Elle savait qu’elle survenait toujours sans prévenir, sans signes avant coureurs, presque avec brutalité. Une vague immense venue du tréfonds de sa mémoire qui la plongeait dans un autre monde, dans ce passé dont l’absence se faisait parfois si douloureuse, qui la liquéfiait de tristesse et de douceur mêlées. Sa mémoire lui restituait intactes les voix, les rires, les petits riens qui avaient construit ses certitudes, tous ces moments qui s’étaient infiltrés dans son cœurs et s’y étaient imprimés pour la vie.  Tous ces instants de grâce pendant lesquelles elle avait su qu’elle touchait le bonheur revenaient la hanter à l’improviste. Tous ces choix qu’elle avait fait sans parfois même y penser, toutes ces portes ouvertes et refermées avec l’absolue insolence de ceux qui croient pouvoir tromper la vie. Tous ces souvenirs qui remontaient et lui brisaient le cœur, qui  s’y attardaient comme autant de pointes aiguisées, ne laissant derrière eux que le poids intolérable de ses erreurs... 

Combien de souvenirs de cette sorte engrange-t-on dans une vie ? Combien de moments clés que nous savons indélébiles alors même que nous les vivons ? Combien que nous balaierons d’un revers de la main pour aller vers un autre, éphémère, qui perdra vite de sa saveur ? Combien que nous regretterons sitôt perdus, jamais effacés... La petite musique du souvenir était là, enfouie au plus profond de sa mémoire, elle resurgissait tout à coup et les sensations lui revenaient, intactes. Inévitablement elle s’en voulait, se remémorait ces périodes de sa vie en se jurant que plus jamais elle ne les enfouirait jusqu’à les oublier. Mais elle savait qu’elle recommencerait, elle était ainsi faite qu’il lui était facile de broder d’autres vies sur l’infatigable métier de son imaginaire, ces vies auxquelles elle avait tourné le dos avec l’inconscience de ceux qui ne vivront jamais assez.

Au fil du temps elle s’était rodée aux attaques sournoises de la nostalgie, elle ne s’en prémunissait plus, bien au contraire elle l’accueillait les deux pieds ancrés dans sa vie et puisait jusque dans la douleur les forces qui lui permettaient de continuer. C’était tout ce qui lui importait, survivre aux sirènes du passé, affronter le passage du temps pour garder cette vision claire de l’avenir qui lui était nécessaire. 

Ecrit à Beaucaire,
le 18 avril 2018

samedi 14 avril 2018

La Proie

Il est là, sous la pluie
Immobile
Seul
Son œil noir la fixe
Sagace
Brillant
Il la guette, sans bouger
Patient
Déterminé
Elle détourne le regard
Apeurée
Tremblante
Elle veut vivre
Résister
Combattre
Elle est sans forces
Chétive
Affaiblie
Elle est perdue
Il le sait.

Ecrit à Beaucaire
le 14 avril 2018

dimanche 4 février 2018

Elle n'aimait pas qu'on la touche

Elle n’aimait pas qu’on la touche. Elle ne supportait pas le plus léger effleurement, le moindre contact la contractait toute et lui donnait envie de siffler comme une vipère ! Elle ne savait plus depuis quand l’habitait ce dégoût des autres peaux, ce rejet de toutes tentatives de rapprochement, la plus infime soit-elle... Oh bien sûr elle avait des besoins, des élans de désir qu’elle assouvissait avec passion, seuls instants où lui paraissait tolérable la peau de l’autre. Mais ils ne duraient pas, ne s’alanguissaient jamais après l’acte, n’engendraient pas de tendresse. Elle vivait murée dans une solitude qu’elle s’était construite et qui lui convenait, non par peur du monde extérieur mais pas souci de commodité. Les contacts provoquaient des liens, tissaient des univers variés qui l’auraient détournée de ses objectifs, réduisaient parfois à cet état de loque qu’elle craignait par-dessus tout. Elle savait trop combien il est douloureux de s’extraire de l’habitude de l’autre, de s’assumer seule, de vivre en adéquation avec soi-même. Le toucher, ce geste si simple et si déroutant, la glaçait. Elle n’avait jamais rien vécu qui justifie son choix, mais elle avait l’absolue certitude qu’en pliant devant l’exigence des rituels en vigueur elle en viendrait à s’oublier elle-même. Elle ne le pouvait pas. Elle se surprenait parfois à vouloir deviner le grain de peau d’une personne qui se dégageait du lot, à imaginer ce qu’elle ressentirait à son contact, et si sa curiosité alimentait suffisamment sa soif sensuelle elle y cédait avec énergie et détermination. Le temps nécessaire pour évacuer toute tension et reprendre sa vie là où elle l’avait laissée. 

Elle n’aimait pas qu’on la touche. Elle-même ne touchait pas l’autre. Si elle ne pouvait l’éviter elle le faisait si brièvement que la personne s’interrogeait sur la réalité du geste. Aussi peu tangible qu’il soit, un contact déclenchait des interrogations, des sensations, des envies. C’était tout cela qu’elle rejetait, en bloc. Elle ne pouvait pas continuer sa route et se tenir à ce qu’elle avait initié si elle s’en laissait détourner. Elle n’avait nul besoin de tendresse, nul besoin de cette hypocrisie que sème la politesse, nulle envie de leur ressembler. Abritée des passions tristes, protégée de la folie des autres, marginalisée par ses choix de vie, elle était libre de toutes entraves autres que celles qu’elle s’imposait. Libre de vivre et d’agir. Libre d’aimer ou de haïr. Libre de mourir. Sa volonté avait bâti un mur qui stoppait les émotions inutiles, elle s’alimentait, se lavait, dormait. Parfois elle s’unissait dans un acte nécessaire auquel elle ne donnait pas suite. Seule la pensée avait des conséquences. Sur sa vie, sur ses actes, sur sa créativité. Sa liberté était totale. Elle dirigeait ses actions, orientait ses travaux, nourrissait son imaginaire. Aucune présence ne lui était nécessaire pour évoluer. Elle avait fait le choix qui lui convenait pour croître et mûrir sans jamais perdre de vue ce qu’elle était ni ce qu’elle voulait, et chaque jour elle s’améliorait. Atteindre le cœur de son être, l’ultime perfection, n’était possible qu’à ce prix. Son corps l’avait compris bien avant elle.

Elle n’aimait pas qu’on la touche. Personne ne comprendrait jamais ce qu’elle était. Un jour, personne d’autre qu’elle-même ne la toucherait.

Ecrit à Beaucaire
Le 04 février 2018