dimanche 4 février 2018

Elle n'aimait pas qu'on la touche

Elle n’aimait pas qu’on la touche. Elle ne supportait pas le plus léger effleurement, le moindre contact la contractait toute et lui donnait envie de siffler comme une vipère ! Elle ne savait plus depuis quand l’habitait ce dégoût des autres peaux, ce rejet de toutes tentatives de rapprochement, la plus infime soit-elle... Oh bien sûr elle avait des besoins, des élans de désir qu’elle assouvissait avec passion, seuls instants où lui paraissait tolérable la peau de l’autre. Mais ils ne duraient pas, ne s’alanguissaient jamais après l’acte, n’engendraient pas de tendresse. Elle vivait murée dans une solitude qu’elle s’était construite et qui lui convenait, non par peur du monde extérieur mais pas souci de commodité. Les contacts provoquaient des liens, tissaient des univers variés qui l’auraient détournée de ses objectifs, réduisaient parfois à cet état de loque qu’elle craignait par-dessus tout. Elle savait trop combien il est douloureux de s’extraire de l’habitude de l’autre, de s’assumer seule, de vivre en adéquation avec soi-même. Le toucher, ce geste si simple et si déroutant, la glaçait. Elle n’avait jamais rien vécu qui justifie son choix, mais elle avait l’absolue certitude qu’en pliant devant l’exigence des rituels en vigueur elle en viendrait à s’oublier elle-même. Elle ne le pouvait pas. Elle se surprenait parfois à vouloir deviner le grain de peau d’une personne qui se dégageait du lot, à imaginer ce qu’elle ressentirait à son contact, et si sa curiosité alimentait suffisamment sa soif sensuelle elle y cédait avec énergie et détermination. Le temps nécessaire pour évacuer toute tension et reprendre sa vie là où elle l’avait laissée. 

Elle n’aimait pas qu’on la touche. Elle-même ne touchait pas l’autre. Si elle ne pouvait l’éviter elle le faisait si brièvement que la personne s’interrogeait sur la réalité du geste. Aussi peu tangible qu’il soit, un contact déclenchait des interrogations, des sensations, des envies. C’était tout cela qu’elle rejetait, en bloc. Elle ne pouvait pas continuer sa route et se tenir à ce qu’elle avait initié si elle s’en laissait détourner. Elle n’avait nul besoin de tendresse, nul besoin de cette hypocrisie que sème la politesse, nulle envie de leur ressembler. Abritée des passions tristes, protégée de la folie des autres, marginalisée par ses choix de vie, elle était libre de toutes entraves autres que celles qu’elle s’imposait. Libre de vivre et d’agir. Libre d’aimer ou de haïr. Libre de mourir. Sa volonté avait bâti un mur qui stoppait les émotions inutiles, elle s’alimentait, se lavait, dormait. Parfois elle s’unissait dans un acte nécessaire auquel elle ne donnait pas suite. Seule la pensée avait des conséquences. Sur sa vie, sur ses actes, sur sa créativité. Sa liberté était totale. Elle dirigeait ses actions, orientait ses travaux, nourrissait son imaginaire. Aucune présence ne lui était nécessaire pour évoluer. Elle avait fait le choix qui lui convenait pour croître et mûrir sans jamais perdre de vue ce qu’elle était ni ce qu’elle voulait, et chaque jour elle s’améliorait. Atteindre le cœur de son être, l’ultime perfection, n’était possible qu’à ce prix. Son corps l’avait compris bien avant elle.

Elle n’aimait pas qu’on la touche. Personne ne comprendrait jamais ce qu’elle était. Un jour, personne d’autre qu’elle-même ne la toucherait.

Ecrit à Beaucaire
Le 04 février 2018