mercredi 18 avril 2018

Nostalgie

Elle savait qu’elle survenait toujours sans prévenir, sans signes avant coureurs, presque avec brutalité. Une vague immense venue du tréfonds de sa mémoire qui la plongeait dans un autre monde, dans ce passé dont l’absence se faisait parfois si douloureuse, qui la liquéfiait de tristesse et de douceur mêlées. Sa mémoire lui restituait intactes les voix, les rires, les petits riens qui avaient construit ses certitudes, tous ces moments qui s’étaient infiltrés dans son cœurs et s’y étaient imprimés pour la vie.  Tous ces instants de grâce pendant lesquelles elle avait su qu’elle touchait le bonheur revenaient la hanter à l’improviste. Tous ces choix qu’elle avait fait sans parfois même y penser, toutes ces portes ouvertes et refermées avec l’absolue insolence de ceux qui croient pouvoir tromper la vie. Tous ces souvenirs qui remontaient et lui brisaient le cœur, qui  s’y attardaient comme autant de pointes aiguisées, ne laissant derrière eux que le poids intolérable de ses erreurs... 

Combien de souvenirs de cette sorte engrange-t-on dans une vie ? Combien de moments clés que nous savons indélébiles alors même que nous les vivons ? Combien que nous balaierons d’un revers de la main pour aller vers un autre, éphémère, qui perdra vite de sa saveur ? Combien que nous regretterons sitôt perdus, jamais effacés... La petite musique du souvenir était là, enfouie au plus profond de sa mémoire, elle resurgissait tout à coup et les sensations lui revenaient, intactes. Inévitablement elle s’en voulait, se remémorait ces périodes de sa vie en se jurant que plus jamais elle ne les enfouirait jusqu’à les oublier. Mais elle savait qu’elle recommencerait, elle était ainsi faite qu’il lui était facile de broder d’autres vies sur l’infatigable métier de son imaginaire, ces vies auxquelles elle avait tourné le dos avec l’inconscience de ceux qui ne vivront jamais assez.

Au fil du temps elle s’était rodée aux attaques sournoises de la nostalgie, elle ne s’en prémunissait plus, bien au contraire elle l’accueillait les deux pieds ancrés dans sa vie et puisait jusque dans la douleur les forces qui lui permettaient de continuer. C’était tout ce qui lui importait, survivre aux sirènes du passé, affronter le passage du temps pour garder cette vision claire de l’avenir qui lui était nécessaire. 

Ecrit à Beaucaire,
le 18 avril 2018

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